Prédication du dimanche 12 novembre
Proverbes 8, 12-20
Matthieu 25, 1 à 13
LA CIGALE ET LA FOURMI
La Cigale, ayant chanté
Tout l’été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu’à la saison nouvelle.
Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l’août, foi d’animal,
Intérêt et principal.
La Fourmi n’est pas prêteuse ;
C’est là son moindre défaut.
Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
Vous chantiez ? j’en suis fort aise :
Et bien ! dansez maintenant.
A première lecture, c’est à cette fable que nous fait penser la parabole des 10 vierges. Et nous ne pouvons pas nous empêcher de penser que la vierge sage n’est pas prêteuse, c’est là son moindre défaut.
Le problème, et pas le moindre, de cette lecture, c’est que le Royaume de Dieu se met à ressembler à un lieu où celle qui a refuse de partager avec celle qui n’a pas (et c’est sagesse de sa part) et où celle qui n’a pas se voit jetée dehors et c’est bien fait pour son manque de sagesse.
Remarquez, l’avantage de cette description du Royaume, c’est que du coup, on comprend mieux que Jésus puisse nous dire que le Royaume est déjà là… Mais bon…
Veillez !
Mais contrairement à Jean de La Fontaine, Jésus ouvre sa parabole sur -peut-être pas une morale – mais en tout cas une exhortation : “Veillez !” Et cette exhortation donne un autre éclairage à la parabole.
“Veillez !” mais toutes les vierges, les sages comme les folles, s’assoupirent et s’endormirent. C’est d’ailleurs ce qui arrivera aux apôtres peu après à Gethsemané. “Veillez !”, Jésus ne dit pas “fais des réserves” ni “mets de l’huile”. Et donc toutes les vierges de la parabole sont prises dans la même désobéissance ou en tout cas la même incapacité à obéir. Si les vierges sages entrent, ce n’est pas grâce à leurs réserves d’huile ni grâce à leurs lampes allumées, si les vierges sages sont admises à la noce, c’est seulement par la grâce de l’époux.
Pourtant, puisque Jésus nous dit que parmi les vierges, il en est des sages et des folles, tâchons de voir un peu en quoi consiste cette sagesse et cette folie.
Bien sûr, pas pour trier entre les sages d’un côté et les fous de l’autre mais pour discerner dans nos vies les voies de la sagesse, pour nous garder des tentations de la folie.
La folie
Alors, quel est le problème des vierges folles ? Pourquoi restent-elles à la porte ? Pas parce que leur lampe était éteinte, mais parce qu’elles n’étaient pas là quand l’époux est arrivé, parce qu’elles se sont égayées dans la nature, se précipitant à la recherche d’un marchand d’huile ouvert. Finalement, leur vraie folie, ce n’est pas d’avoir été imprévoyantes, leur vraie folie, c’est de ne pas avoir assumé leur sommeil, leur manque, leurs ténèbres. Leur vraie folie, c’est d’avoir cru qu’il leur fallait briller, porter leur propre lumière pour être admises. Leur vraie folie, c’est d’être partie chercher dans la nuit des marchands, d’avoir cru que d’autres pourraient leur fournir ce qui leur manquait.
C’est sur cette folie-là que nous devrions méditer. Quand l’époux vient, quand Celui qui nous aime nous appelle, à quoi regardons-nous ? Est-ce que nous comptons sur nos propres mérites, sur notre lumière, sur la richesse de nos stocks d’œuvres, de foi, sur notre vigilance ? Est-ce que nous essayons de cacher notre misère, nos ténèbres, notre nudité, est-ce que nous feignons de ne jamais nous être assoupis ?
Rappelons-nous que le premier geste d’Adam, après le péché, c’est de se cacher à l’appel de son Dieu, que le premier réflexe de Caïn après avoir tué Abel, c’est le déni.
C’est folie que de vouloir briller devant Dieu, et c’est folie plus grande encore que de croire qu’Il ne nous acceptera pas dans nos ténèbres, dans notre manque, dans notre fragilité. C’est folie complète que d’aller chercher loin de lui de quoi combler ce qui nous manque.
La sagesse
Mais si la folie, c’est de fuir Dieu parce qu’on démuni, parce que l’on n’a pas assez, la sagesse, ce n’est certainement pas de rester parce qu’on a des réserves.
Alors, quelle est la sagesse des vierges sages ?
Eh bien si ce n’est pas d’avoir fait des réserves, si ce n’est pas d’être restées, alors il n’y a plus qu’une possibilité, la sagesse des vierges sages c’est d’avoir refusé de partager leur huile.
Attention ! Il n’est bien sûr pas question ici d’affirmer qu’il n’est pas sage de partager. La sagesse de la Bible, ce n’est certainement pas “ne donne pas au malheureux, de peur que tu viennes toi-même à manquer”
Seulement, tout ne peut pas se partager. Pour faire une actualisation, si nous nous promenons la nuit avec nos torches électriques – ces torches qui demandent quatre piles – que ma torche vient à s’éteindre et que je vous demande de me donner la moitié de vos piles, vous refuserez sans doute et me ferez remarquer qu’il vaut mieux que vous m’éclairiez… Mais les vierges folles ne demandent pas à être éclairées, elles demandent ce qu’on ne peut pas leur donner…
Qu’est-ce que c’est que cette huile, qu’on ne peut pas partager ?
Je vous propose une interprétation, cette huile qui nous permet d’allumer nos lampes quand nous sommes plongés dans les ténèbres, cette huile qui nous permet d’éclairer le monde qui nous entoure, c’est notre foi. Notre foi comprise dans ce qu’elle a de plus intime, de plus personnelle, cette foi qui nous anime parfois même contre notre propre raison. Or cette foi, nous pouvons en témoigner mais nous ne pouvons pas la verser dans l’autre, nous ne pouvons pas l’imposer à l’autre. L’image de la lampe à huile ou à pile, nous permet de bien faire la différence entre notre témoignage (la lumière) et la foi (l’énergie, le carburant de ce témoignage). Or si nous pouvons chercher, modestement à éclairer les autres par notre témoignage, nous ne pouvons pas exiger de retrouver en eux la même foi, le même carburant.
Quand nous témoignons de notre foi, cette lumière que nous avons reçue de Dieu passe par notre filtre, par notre histoire et les autres le savent et peuvent ainsi se l’approprier en la recevant dans leur vie dans leur histoire. Il serait folie d’essayer de leur faire ingurgiter nos convictions telles quelles.
Et c’est cette sagesse que je vois chez les vierges sages : « notre huile, notre énergie, nos convictions nous ne pouvons pas les verser en vous ». Bien sûr, on pourrait reprocher aux vierges sages de ne pas avoir proposé aux folles de les éclairer, mais il me semble assez vain de faire des reproches à des personnages fictifs. Inspirons nous de leur sagesse et ajoutons-y la bienveillance. N’exigeons pas des autres, qu’ils croient comme nous mais n’ayons pas peur de leur annoncer ce que nous croyons.
Mes sœurs – et mes frères, je pense, messieurs, que cela nous concerne aussi, gardons-nous de la folie de fuir quand Dieu nous appelle. Il est celui qui aime et peut couvrir nos manques, nos ténèbres…
Ayons la sagesse de ne pas vouloir imposer aux autres notre foi, nos convictions, mais ayons la bienveillance de les éclairer de notre humble témoignage.
Amen