Romains 12, 11-18
Luc 10, 25-37
Que dois-je faire pour hériter de la vie éternelle ? Peut-être que la famille de Lucie, ses amis et finalement, Lucie elle-même seront un peu surpris d’entendre que cette question a été au cœur de la motivation et de la préparation de ce jour.
D’ailleurs ceux qui me connaissent seront peut-être aussi un peu surpris que je puisse considérer le baptême comme une réponse à cette question
Et pourtant, il faut bien s’arrêter à deux termes de cette question : Vie éternelle et Hériter.
La vie éternelle, ce n’est pas l’immortalité de l’âme, ce n’est pas non plus, n’en déplaise à Pagnol, une vie qui commence par des obsèques, la vie éternelle, c’est la vie délivrée de la mort, de toutes les formes de la mort, de tout ce qui est mortifère. De toute pulsion de mort ? En tout cas, de toute puissance de mort.
Cette vie éternelle, cette vie délivrée des puissances de mort, visiblement on en hérite. C’est d’ailleurs un signe que ça ne commence pas par des obsèques : si quelqu’un vous dit, à ma mort, je te lèguerai la vie éternelle, ça sent l’arnaque…
Plus sérieusement, l’héritage, c’est ce qui se transmet. Lorsqu’on parle d’héritage, on parle finalement moins de possession que d’appartenance. La réception d’un héritage ou d’une part d’héritage, c’est la marque de mon appartenance, par filiation, par affinité à un groupe.
Si je reformule « Que dois je faire pour hériter de la vie éternelle ? » en « Comment aurais-je ma place dans cette vie délivrée des puissances de la mort ? » peut-être Lucie retrouvera-t-elle mieux certains aspects de sa démarche. Et pas seulement Lucie d’ailleurs…. En effet, le baptême de Lucie n’est pas la condition de cette appartenance, il en est la conséquence.
Lucie demande le baptême parce que dans l’Evangile, dans la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, elle reconnaît la source de cette vie libérée des puissances de la mort.
Alors « que dois-je faire ? », eh bien Jésus ne répond pas. Il renvoie celui qui l’interroge à ce qu’il sait déjà « qu’est-il écrit, que lis tu ? » Lucie connaissait la Bible avant de pousser la porte de cette Eglise, l’assemblée chrétienne la connaît et je pense même que tous, quelle que soit notre foi, avons déjà entendu « tu aimeras ton prochain comme toi-même » et je pense que nous sommes nombreux à reconnaître ce commandement comme porteur de vie.
Mais nous aussi nous nous interrogeons : qui est ce prochain que je suis appelé à aimer ? Jésus répond à cette question et à une autre question – peut-être implicite – : « qu’est ce que ça veut dire aimer mon prochain » par une histoire…
Et comme nous connaissons tous l’histoire du bon samaritain, après m’être un peu attardé sur l’introduction à cette histoire, je voudrais que nous nous attardions un peu sur sa conclusion. Jésus pose une question « qui a été le prochain de l’homme tombé dans les mains des brigands ? » La réponse est évidente. Mais Jésus enchaîne avec une exhortation, qui d’une certaine manière, brouille les cartes. « Va et fais de même » Et cette question et cette exhortation vont éclairer la parabole.
Qui a été le prochain ? Je le disais, la réponse est évidente, c’est celui qui a été bon pour lui. L’histoire du Samaritain vient donc nous enseigner la reconnaissance. Le prochain, ce n’est pas forcément celui ou celle qui est de ma caste, celui ou celle avec qui j’ai des affinités, le prochain, c’est celui qui fait preuve de compassion envers moi quand bien même il serait à mes yeux le dernier des derniers. Il faut se rappeler qu’à l’époque de Jésus, les samaritains étaient, aux yeux des juifs, pire que des païens.
Il ne faut pas prendre cet aspect de la parabole à la légère. La reconnaissance du bien qui nous a été fait est un véritable enjeu dans notre relation aux autres, dans notre identification du prochain. Mais d’une part, était il vraiment besoin d’une parabole pour nous expliquer cela ? D’autre part, le prochain est-ce seulement celui ou celle envers qui nous sommes redevables, auquel cas l’amour ne serait finalement qu’un devoir. Enfin, comment pourrions nous concilier cela avec le commandement d’amour des ennemis donné par le même Jésus-Christ. Du reste, sans même qu’il soit nécessaire d’aller chercher d’autres passages biblique, l’exhortation finale nous interdit de nous limiter à cette interprétation.
« Va et fais de même » Je n’aime pas beaucoup condamner une lecture, une interprétation mais il me semble difficile de croire que Jésus dit « va, descend de Jérusalem, fais toi agresser et tâche de trouver un bon samaritain » Je crois plus simple de penser qu’ici « fais de même » veut dire « agis comme le samaritain ». Va et toi aussi laisse toi toucher par la compassion, toi aussi porte toi au secours de celui qui git au bord du chemin.
Alors que par sa question, Jésus nous invitait, nous, ses auditeurs, à nous identifier au blessé, voilà que par son exhortation, il nous pousse à nous identifier au samaritain… Et nous identifier au samaritain, c’est nous ouvrir à la liberté de l’amour. En effet, s’il y a une dimension du devoir dans l’amour, celle-ci ne doit pas nous faire oublier aussi sa dimension de liberté. Pour bien mesurer la liberté du samaritain, qui va vers un inconnu, il est intéressant de regarder un peu à deux autres personnages de la parabole.
Le maître de la loi qui entend l’histoire, lui, commence certainement par s’identifier à ceux qui lui ressemblent le plus : au prêtre ou au lévite, Et, pour être honnête, je crois qu’il nous est assez facile, à nous même, de deviner ce qui empêche le prêtre et le lévites de se porter au secours : nos conventions (le contact du sang rend impur dans le judaïsme), nos peurs (et si les bandits étaient encore là) ou tout simplement la paresse et la résignation (que puis-je y faire ?). Et que si c’est si facile, c’est que nous parvenons assez bien à nous identifier à eux…
Récemment, un de mes collègues me proposait encore une autre identification : si le samaritain était Jésus, nous, l’Eglise, serions l’aubergiste à qui Jésus confie les blessés, les laissés pour mort en nous disant « si cela va au-delà de vos forces, si cela vous coûte, n’ayez crainte, je vous revivifierai ».
Par ce jeu des identifications, même avec le prêtre et le lévite, nous pouvons voir les différents aspects de l’amour auquel nous sommes appelés
Nous pouvons refuser la peur, la paresse, les conventions qui bloquent le prêtre et le lévite, qui les empêchent d’aller vers l’autre. Et pourtant, nous ne pouvons pas les juger puisque nous reconnaissons en nous les même peurs, les même paresses, les même résignations…
Et, en nous identifiant au blessé, nous pouvons voir que la reconnaissance nous est accessible. En nous identifiant au samaritain, nous pouvons découvrir que la compassion nous est accessible. En nous identifiant à l’aubergiste, nous pouvons apprendre que la confiance nous est accessible.
Frères et sœurs
Par le jeu des identifications, par un jeu de miroir, Jésus nous découvre à nous-même. En nous empêchant de nous enfermer dans telle ou telle image de nous même, il nous montre ce que nous sommes. Et c’est bon !
En effet, d’un côté dire non aux chaînes qui nous tiennent loin de l’autre, de l’autre voir que nous avons en nous les forces de la reconnaissance, de la compassion et de la confiance, c’est bien nous découvrir capables d’aimer, capables d’entrer dans cette vie sans entrave, dans cette vie libérée des puissances de mort.
Cette puissance de vie que nous découvrons en nous-même, ce souffle, la Bible lui donne un nom : l’Esprit de Dieu qui nous anime, qui nous libère, qui nous fait vivre.
Amen