Dans la société marchande qui est la nôtre, il est de plus en plus difficile de faire comprendre, voire de parler de la grâce. Tout se paie, rien n’est gratuit, le commerce envahit tous les rapports. L’image la plus marquante, pour exprimer la notion de grâce, est celle du condamné gracié. De tous temps les théologiens ont utilisé cette illustration qui offre l’avantage d’être claire et compréhensible, mais qui limite la portée de la grâce à des cas extrêmes de vie et de mort, ou de salut éternel (pour rester dans un cadre religieux). Or la grâce n’est pas que religieuse, elle est avant tout un état d’esprit qui se vit et se manifeste au jour le jour. Lorsque Jésus-Christ révèle la grâce, il l’envisage autant dans la vie quotidienne que par rapport à l’éternité. La société qu’il annonce n’est pas forcément un lieu céleste et paradisiaque, mais la terre, non transformée par un coup de baguette magique, mais devenue royaume de Dieu uniquement parce que ceux qui l’habitent vivent de la grâce, c’est-à-dire dans la gratuité. Et Jésus raconte des histoires : le père de famille qui reçoit dans la joie son fils qui a dilapidé son bien, le patron qui paie autant les ouvriers qui ont travaillé une heure que ceux qui ont travaillé toute la journée, l’immigré qui porte secours au citoyen agressé … Autant de situations concrètes où se manifestent le don, l’absence de calcul, la primauté des personnes sur les choses, l’ouverture d’esprit, en un mot la grâce.
Dans notre société où la rentabilité régit tous les rapports et toutes les initiatives, il est bon de faire des choses pour rien, pour le bonheur de les réaliser et pour l’épanouissement de tous. C’est déjà cela une société de gratuité.
Gilbert Carayon